Vaccins anti-cancer
C’est dans le domaine de la lutte contre le cancer que l’on dispose du plus grand recul sur les vaccins à ARN messager. L’objectif est de concevoir une immunothérapie anti-cancéreuse dans laquelle l’ARN messager est le médicament. Ces vaccins sont à visée thérapeutique et non prophylactique. En d’autres termes, ils ne visent pas à prévenir mais à soigner.
Les vaccins prototypes anti-cancer à base d’ARN messager portent le code de fabrication de protéines particulièrement ou exclusivement exprimées par des cellules tumorales, ce que l’on appelle des « antigènes associés aux tumeurs » qui peuvent être libérés dans le sang ou rester à la surface de la cellule. L’objectif, en faisant directement produire par le patient un antigène tumoral, est de stimuler son système immunitaire afin de l’aider à éliminer les cellules cancéreuses ou freiner le développement de la tumeur.
La protéine codée par un vaccin anti-cancer à ARN messager peut être la protéine entière ou un fragment (épitope) de celle-ci, que le système immunitaire aura toutes les chances de reconnaître comme un intrus. Plus précisément, l’objectif de tels vaccins est de stimuler la production de lymphocytes T cytotoxiques (CTL), autrement dit de lymphocytes T tueurs, capables de détruire les cellules tumorales exprimant l’antigène codé par l’ARN messager. De nombreux essais, chez l’animal et chez l’homme, ont montré l’intérêt de cette approche pour combattre certains cancers.
L’histoire des vaccins anti-cancer à ARN messager a commencé en 1995. Robert M. Conrey et ses collègues de l’université de Birmingham (Alabama) rapportent dans la revue Cancer Research que l’injection intramusculaire d’un ARN codant un antigène tumoral induit une réponse en anticorps spécifiques de cet antigène. Celui-ci est l’antigène carcino-embryonnaire (ACE), protéine qu’on détecte normalement en très faibles quantités chez l’adulte mais qu’on détecte en quantité élevée dans le sang de certains patients atteints de cancer.
Un an plus tard, en 1996, David Boczkowski et ses collègues de la Duke University (Caroline du Nord) introduisent in vitro dans des cellules dendritiques un ARN messager codant un antigène, voire un grand nombre d’ARN provenant d’extraits de cellules tumorales. Injectées par voie sous-cutanée à des souris, ces cellules dendritiques se révèlent efficaces pour inhiber la croissance de tumeurs chez l’animal.
Ces résultats vont contribuer à l’accélération des recherches sur l’utilisation de vaccins à ARN messager contre le cancer, d’autant que l’on continue parallèlement de découvrir de nouveaux antigènes tumoraux.
En 2002, un essai clinique est entrepris chez l’homme pour évaluer la sécurité, la tolérance et l’efficacité d’un vaccin anti-cancer à ARN messager dans le traitement du cancer de la prostate métastatique. Le vaccin prototype consiste en l’injection de cellules dendritiques dans lesquelles on a introduit l’ARN messager codant l’antigène PSA. Mené sur treize patients, cet essai a donné des résultats encourageants chez trois d’entre eux (élimination transitoire des cellules tumorales circulantes). Pour aider l’ARN à pénétrer à l’intérieur des cellules dendritiques, ces dernières ont subi un choc électrique à haut voltage qui a permis de perméabiliser leur membrane externe. Cette technique, dite de l’électroporation, sera par la suite utilisée pour introduire dans les cellules dendritiques, outre l’ARN messager, d’autres molécules permettant de mieux stimuler ces cellules présentatrices d’antigène.
En 2008, les résultats du premier essai clinique d’un vaccin à base d’ARN chez des patients souffrant de mélanome malin sont publiés.
Depuis, des améliorations ont régulièrement été rapportées. Des équipes ont utilisé un ARN messager codant un cocktail de trois molécules pour optimiser la fonction des cellules dendritiques et les rendre plus efficaces pour stimuler les lymphocytes. Cet ARN a été associé dans des cellules dendritiques à un second ARN messager codant un antigène associé au mélanome malin. Ces cellules ont été administrées à des patients souffrant d’une forme avancée de mélanome, entraînant une régression de la tumeur d’environ 27 %.
De nombreuses voies d’administration ont été évaluées dans de nombreux modèles animaux de cancer : intradermique, intramusculaire, sous-cutanée, intraveineuse et même intranasale. L’ARN messager a également été injecté directement dans la rate, organe lymphoïde riche en cellules dendritiques (injection intrasplénique) ou dans des ganglions lymphatiques (voie intranodale).
Les succès obtenus dans ces études chez l’animal ont permis d’entreprendre des essais cliniques chez l’homme. Le plus souvent, ces derniers ont consisté en l’utilisation d’ARN messager introduit dans des cellules dendritiques. Ils ont concerné de nombreux types de tumeurs : cancer de la prostate métastatique, du poumon métastatique, du rein, du pancréas, de l’ovaire, du côlon, de même que diverses tumeurs cérébrales (glioblastome, gliome malin, métastases cérébrales), le mélanome, la leucémie aiguë myéloïde, pour n’en citer que quelques-uns.
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chéma illustrant le concept de vaccination thérapeutique anti-cancéreuse à base d’ARN messager introduit dans des cellules dendritiques. 1 : biopsie tumorale, identification d’antigène tumoral d’intérêt, production d’ARN messager. 2 : transfection de cellules dendritiques (incorporation de l’ARN messager dans ces cellules présentatrices d’antigène). 3 : injection des cellules dendritiques transfectées dans le but d’induire une réponse immunitaire. 5 : attaque de la tumeur par des lymphocytes T activés, spécifiques de l’antigène tumoral. Dörrie J, et al. Pharmaceutics. 2020 Jan 23;12(2):92.Sachant que pour un même type de cancer, la nature des mutations présentes dans la tumeur peut différer d’un patient à l’autre, il est apparu intéressant de développer des traitements personnalisés. Il est en effet possible de séquencer le génome de la tumeur d’un patient et d’identifier des mutations spécifiques du cancer. Parmi celles-ci, certaines sont susceptibles, lorsqu’elles sont introduites dans un ARN messager administré au patient, de déclencher une réaction du système immunitaire qui sera spécifiquement dirigée contre la tumeur. On parle de mutations immunogènes.
La molécule d’ARN messager s’avère donc une stratégie thérapeutique personnalisée dans la mesure où elle devient un médicament conçu en tenant compte des caractéristiques génétiques de la tumeur du patient. Le séquençage complet de la tumeur d’un patient pourrait donc permettre de produire un ou plusieurs ARN messagers entrant dans la composition d’une immunothérapie anti-cancéreuse personnalisée. Dans ce domaine, les premiers résultats encourageants chez l’homme ont été publiés en 2017 dans la revue Nature par BioNTech, en l’occurrence chez des patients atteints de mélanome.
La firme allemande a depuis développé une plateforme de production d’ARN messagers codant des antigènes tumoraux fréquemment rencontrés ainsi que des antigènes uniquement exprimés chez des patients porteurs de tumeurs hébergeant des mutations spécifiques.
En juillet 2020, des chercheurs de BioNTech ont rapporté dans la revue Nature l’administration par voie intraveineuse à des patients souffrant de mélanome malin d’un ARN messager encapsulé dans des liposomes. Cet ARN messager code quatre antigènes tumoraux fréquemment présents dans ce cancer cutané.
Des résultats cliniques encourageants (réponse partielle) ont été obtenus lorsque cet ARN messager a été administré seul ou en association avec une autre forme d’immunothérapie anticancéreuse (par inhibiteurs de points de contrôle immunitaire ou immune checkpoint inhibitors).
D’autres équipes internationales sont également sur les rangs. Leur stratégie repose également sur l’administration de cellules dendritiques dans lesquelles un ARN messager a été introduit. Des chercheurs du Memorial Sloan Kettering Cancer Center (New York) et de l’hôpital norvégien du radium (Oslo) poursuivent cette piste dans le mélanome. L’hôpital universitaire d’Oslo travaille sur cette même approche dans le cancer de la prostate. Enfin, des vaccins anti-cancer à ARN sont à l’étude pour combattre d’autres tumeurs malignes. Des travaux sont actuellement conduits au Shangai Hospital et Stemirna Therapeutics en Chine, à l’hôpital universitaire de Tübingen (Allemagne), ainsi que par la société américaine AlphaVax (Duke University).